Dominique Popiolek-Ollé, coach en transformation agile, digitale et culturelle, formatrice et auteure du livre « Manager autrement », revient un an après la sortie de cet ouvrage sur l’évolution nécessaire de la posture du manager face à ces changements.
Dominique Popiolek-Ollé : Un an après la sortie de mon livre, les tentatives d’évolution des pratiques managériales notamment dans les grands groupes se font plus pressantes. Elles tentent de répondre à deux contraintes distinctes :
Contrainte n°1 – d’ordre réglementaire
- la prise en compte par l’entreprise de son impact sociétal et environnemental,
- des pratiques de management participatives fondées sur l’existence d’espaces de discussion et de régulation du travail,
- une organisation du travail favorisant l’autonomie et la prise d’initiatives dans un cadre sécurisé, un dialogue social basé sur la concertation et centré sur le travail,
- des modes de gouvernance et des processus de gestion basés sur le principe de subsidiarité.
Contrainte 2- de l’ordre de la survie de l’entreprise
Des expérimentations à grandes échelles sont menées par les grands groupes afin de :
- Réduire leur coûts
- Attirer de nouveaux talents
- Fidéliser les employés pour réduire le taux d’attrition
- Faire monter en compétences les collaborateurs
- Favoriser le bien-être et la santé mentale des employés
- Faire face aux enjeux du numérique : digitaliser les process pour se concentrer sur les salariés ; valoriser la marque employeur
DP : Oui, le mouvement est une force qui démultiplie l’action, et rend le changement inéluctable. Cependant si les évolutions sont inéluctables, les croyances résistent et se sont sclérosés post covid#19.
Dans mes accompagnements, j’ai rencontré deux types de comportements que j’associe aux croyances :
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- Le « c’est moi qui commande». Le mode autocratique est revenu en force, démultiplié par les contraintes réglementaires et économiques auxquelles sont confrontées les entreprises et, la croyance que la « nouvelle génération » est paresseuse. Elle aurait tout sans effort, est incontrôlable…
Ce mode est parfois même non visible de celui qui donne des ordres. Le manager se dit bienveillant et à l’écoute. Cependant, il apporte systématiquement la réponse à comment le salarié doit faire, s’organiser dans son travail.
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- La peur de perdre son emploi s’est renforcée. Elle crée une forme de mutisme dans les équipes qui ploient mais ne réagissent pas. Le « À quoi bon ? De toute façon, après Agile, il y aura un autre plan, et il faudra bien faire le boulot comme d’hab… Alors s’il veut avoir raison, et tout contrôler, tant mieux. Je ne prends pas de risque en m’opposant à lui et je peux partir plus tôt… »
Pour que les évolutions restent un atout, chaque collaborateur, quel que soit son statut, doit impérativement se poser la question de l’éthique pour poser son intention personnelle, son interprétation des règles et le cadre de travail dans lequel évoluer. Cela permet de conserver un équilibre sain entre contraintes et changement bénéfique.
ENI : Appétence pour le télétravail, semaine de 4 jours… Comment les managers doivent s’adapter face aux nouvelles aspirations ? Comment manager autrement en 2023 ?
DP : La performance découle de l’équilibre entre la vie privée et la qualité des échanges entre les différentes parties concernées par la vie de l’entreprise : collaborateurs, clients, partenaires. Cela oblige l’entreprise à proposer un environnement connecté à ses collaborateurs.
Ce type d’environnement dit « phygital » signifie la possibilité de travailler de manière identique, que l’on soit physiquement présent ou que l’on soit à distance (grâce aux technologies numériques). Le phygital est donc un concept qui s’associe parfaitement avec le travail hybride et qui facilite le travail collaboratif entre les équipes, qu’elles soient à distance ou sur site. Du moins théoriquement.
Le manager dans cet environnement phygital doit renforcer sa communication avec chacun de ses collaborateurs. Il va créer des moments conviviaux et multiplier les espaces de conversations libres lorsqu’il se retrouve sur site. Le manager va également se concentrer sur le soutien aux personnes et proposer de faciliter leur jeu collectif. Il devient régulateur. Il se doit d’identifier les conflits et soutenir l’activité.
L’entreprise, pour que le manager soit un pilier de soutien aux collaborateurs, doit renoncer aux réunions inutiles, aux roadmaps à 5 ans, et à sa quête de performance liée aux objectifs individuels.
L’apport managérial se situe dans sa connaissance approfondie des organisations, des processus de l’entreprise et des systèmes en général. Il leur donne ainsi le droit d’oser bousculer ce qui est en place. Au-delà de la bienveillance, son écoute et sa connaissance approfondie des systèmes aident les équipes à mesurer leur impact réflexif et à déployer leurs idées en produit plus rapidement.
L’apport du “chef” se trouve dans la dynamique de groupe, et dans sa capacité à orchestrer le travail pour favoriser le travail collectif. Il favorise la valeur livrée en mode capacitaire et sort de son habitude de pointer les tâches ou le temps de présence au travail.
Le manager est au coeur de l’agilité
DP : D’un point de vue Agile, le système de tribu s’autogère et organise la vie en groupe selon le besoin.
Revenons d’abord sur la notion de tribu, cela permet d’organiser un groupe d’individus (entre 20 et 150) autour d’un objectif commun et de garder un contact possible et individualisé avec chacun.
C’est un moyen Agile de répondre au challenge de la motivation. Un challenge d’autant plus grand avec les nouvelles générations qui exigent – à juste titre – davantage du sens. Plus question d’exécuter une tâche – en particulier répétitive – sans savoir pourquoi. Plus question d’avoir le sentiment de n’être que l’engrenage d’une “machine”, sans latitude pour exprimer sa créativité.
Chaque membre de la tribu peut décider du calendrier de rencontres en présentiel en fonction des besoins. La présence en entreprise devient un atout à la carte qu’une équipe Agile mettra à son profit. Et la tribu organise des rencontres dite de synchronisation régulières afin de maintenir une dynamique d’échange naturelle.
Pour que cela continue à faire sens, l’entreprise doit être :
👍 le garant que chaque individu, membre de l’équipe, a à sa disposition une digital workplace – espace de travail virtuel – adaptée aux enjeux collectifs ;
👍 que la liberté d’action – telle que définie p.166 de mon livre – reste une décision consciente prise par chaque individu dans son engagement à faire.
Si les entreprises, pour au moins 61% d’entre elles, ont adapté les contrats de travail pour légaliser le travail à domicile (voir étude Future of Work du Génie des lieux 2022), les jours sont définis à l’avance et les lieux imposés en effectif réduits.
Le côté « Flex office » tend à être un cadre imposé, une réponse réglementaire et économique. Ce n’est pas une réponse adaptée aux besoins des tribus pour coopérer de manière fonctionnelle et décider des moments de travail collectif et des moments de travail individuel.
Cette dichotomie entre les besoins des équipes et la réponse réglementaire accentue le besoin d’être hors de l’entreprise. Le collaborateur ne retrouve plus ses marques dans un espace de travail déserté.
Des tests autour du flex office sont menés dans les grands groupes. La BNP expérimente le concept de coworking en permettant aux collaborateurs du groupe de se réunir dans n’importe quel espace appartenant aux groupes. Les équipes pourront à terme peut-être choisir le lieu le plus adapté pour se réunir. Mais la mobilité sous la responsabilité du collaborateur reste encore un sujet à part entière.
DP : L’entreprise, représentée par son management stratégique, va apporter une réponse aux enjeux environnementaux, sociétaux et réglementaires en utilisant 7 leviers pour définir sa raison d’être :
- sa structure organisationnelle,
- sa structure managériale,
- ses systèmes d’informations,
- ses processus métiers,
- la culture de l’entreprise elle-même,
- son rapport au travail,
- son rapport à l’éthique
Une entreprise qui va vouloir communiquer sur son impact sur l’environnement va utiliser l’ensemble de ces leviers pour renouveler son offre de service. Elle va plus ou moins habillement engager son management opérationnel à exécuter sa vision et à endosser la Responsabilité sociétale de l’entreprise.
Le manager sera amené à répondre à un ensemble de questions comme :
Quels sont les enjeux organisationnels ?
Comment l’entreprise consomme-t-elle ?
Comment communique-t-elle ?
Comment ses clients utilisent ses produits ?
Comment ses collaborateurs s’inscrivent dans cette quête ?
Quelles sont les campagnes choisies par l’entreprise pour définir ses produits?
Pour fédérer ses équipes, le manager n’a pas d’autre choix que de choisir un mode de réalisation itérative et incrémentale pour tenir compte de la complexité du modèle de production actuel. Nous sommes au cœur de l’Agilité.
Prenons l’exemple du secteur de l’énergie, à la fois pionnier des nouvelles technologies, capable pendant des décennies d’attirer les meilleurs ingénieurs, au cœur des enjeux géopolitiques de toute société, clé de voûte de la transition énergétique et pourtant décrié de plus en plus du fait de l’empreinte carbone et polluante massive du pétrole et du gaz, du rejet massif du nucléaire etc.
Le secteur énergétique fait-il partie du problème ou de la solution aux besoins de sociétés toujours plus énergivores, mais soucieuses de se décarboner de manière de plus en plus radicale ?
Le manager est amené à trouver une posture adaptée pour accompagner les équipes, vers plus d’agilité, vers une transformation digitale appropriée entre le meilleur interface Homme –machine et, un contact humain plaçant l’équipe et le client au centre de la performance des entreprises. La démarche sociétale, émergente devient éco-responsable.
Mais dans les faits, cela bouscule énormément le manager. Celui-ci se pense bienveillant et à l’écoute. Cela ne se traduit pas toujours dans ses actes.
Pour en savoir plus sur ce thème, lire « Monde en crise, trois pistes pour manager différemment » https://www.in-imago.com/crise-trois-pistes-pour-manager-differemment/ où vous trouverez notamment deux régressions naturelles que je décris.
DP : C’est le rapport au travail qui est challengé. Et cela concerne tout le monde. Chacun individuellement est acteur de ce changement de cosmogonie. À nous d’en être les promoteurs.
Dominique POPIOLEK-OLLÉ accompagne depuis plus de 10 ans les grands groupes dans leur transformation agile, digitale et culturelle. Elle se dit « coach papillon » car elle va d’entité en entité pour tester la maturité des projets et celle des équipes à adopter un cadre de travail Agile et à mettre en place les bases d’une culture client. Formatrice, éclaireur ou coach, elle crée avec les équipes et leur management stratégique, les opportunités de challenger leur marque auprès de leurs clients ou, tout simplement, les aide à développer un autre regard sur leurs productions et leurs processus au quotidien.