Données personnelles, nouvelles technologies, propriété intellectuelle… : le bouleversement juridique et numérique

09/02/2023 | Paroles d’experts, Société & tendances

Temps de lecture  11 minutes

L’explosion des activités numériques et d’Internet a bouleversé de nombreux domaines et notamment celui du Droit. Si certaines problématiques sont souvent dans l’actualité, comme le traitement des données personnelles ou la création de contenus, les professionnels de l’informatique et de l’IT sont confrontés à une multitude de nouveaux droits (et aussi de devoirs).

Sydney Chiche-Attali, avocat au barreau de Paris, permet de les appréhender avec son premier ouvrage, le « Guide juridique du Numérique » qui sort ce mois aux Editions ENI. L’occasion de lui poser quelques questions…

ENI : Comment le domaine du droit a-t-il été impacté par le numérique ?

Sydney CHICHE-ATTALI : Le domaine du droit n’a pas échappé aux mutations entrainées par le numérique et le développement des technologies de l’information a également entrainé de nouveaux enjeux juridiques.

Ces évolutions technologiques ont notamment permis une plus grande accessibilité au droit ainsi que le développement d’outils de recherches, d’aide à la décision, etc. En effet, la numérisation a pu apporter une simplification et une accessibilité du droit. Des sites Internet tels que Légifrance, LexisNexis ou encore Dalloz ont pu permettre de regrouper les textes, les codes, les jurisprudences dans des bases de données plus accessibles notamment avec la fonctionnalité de la barre de recherche et des mots clés. 

Livre Guide juridique du numérique<br />
Contrats, propriété intellectuelle, données personnelles, e-commerce…

Les développements technologiques ont également conduit à de nouvelles problématiques de fond et à l’édiction de nouveaux textes et jurisprudences (par exemple sur la signature électronique, le e-commerce, etc.). Le droit du numérique emprunte l’essentiel de ses mécanismes au droit commun, à l’exception de textes promulgués spécifiquement dans ce domaine tel que le Règlement général sur la protection des données (RGPD) du 27 avril 2016. En France, de nombreux textes ont été adoptés afin de règlementer au mieux le numérique et ces nouvelles problématiques. C’est notamment le cas de la loi française Informatique et Libertés (LIL) de 1978, la loi pour la confiance en l’économie numérique (LCEN ou LEN) du 21 juin 2004, ou encore la loi pour une République numérique (LRN) du 7 octobre 2016.

En matière de contrat, il est de plus en plus fréquent de signer des contrats via une transmission électronique des volontés, ce qui permet de faciliter ce processus, mais qui entraîne aussi des questions au niveau du formalisme et du consentement. La contractualisation de la vente et la location de matériel informatique ainsi que de logiciels impliquent notamment de nouvelles obligations pour les professionnels du secteur.

Enfin, le numérique a aussi entrainé de nombreuses nouvelles problématiques telles que l’augmentation de la contrefaçon en ligne, le téléchargement illégal, le harcèlement sur les réseaux sociaux, le vol de coordonnées bancaires, le vol de données personnelles, le « phishing », etc.

Il était donc important de prévenir ces abus en encadrant juridiquement l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication sans pour autant empêcher l’émergence des innovations utiles à nos sociétés. Ainsi, de nombreux domaines du droit ont été bouleversés par le développement du numérique tels que le droit des contrats, le droit de la propriété intellectuelle, le droit international privé, le droit de distribution, le droit pénal, …

Données personnelles

ENI : Il est souvent question des données personnelles dans l’actualité. Cette notion semble néanmoins vaste et interprétée différemment. Que doit-on retenir ? Et quels sont les droits des particuliers ?

SCA : Une donnée personnelle est toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable.

La collecte et le traitement de ces données personnelles (nom, prénom, adresse, numéro de téléphone, etc.) par les entreprises sont soumis à des obligations destinées à protéger la vie privée et les libertés individuelles des individus. On peut citer une obligation générale de sécurité et de confidentialité, une obligation d’information, une obligation de désignation d’un délégué à la protection des données (DPO), une obligation de tenue d’un registre des traitements des données, etc.

En outre, les personnes dont les données sont collectées bénéficient de plusieurs droits. Elles peuvent les exercer auprès du responsable de traitement notamment :

  • Le droit d’accès ;
  • Le droit de rectification et d’opposition ;
  • Le droit à la portabilité (impliquant que toute personne peut récupérer, sous une forme réutilisable, les données qu’elle a fournies, et les transférer ensuite à un tiers) ;
  • Le droit à l’oubli (impliquant que toute personne a droit à l’effacement de ses données et au déréférencement) ;
  • Le droit à notification (impliquant qu’en cas de violation de la sécurité des données comportant un risque élevé pour les personnes, le responsable du traitement doit les avertir rapidement).

ENI : De l’autre côté du miroir, comment les entreprises peuvent-elles s’en « servir » ?

SCA : Effectivement, les entreprises qui arrivent à respecter ces obligations, et bénéficient ainsi de base de données légales et saines, peuvent en tirer un avantage compétitif dans une économie du numérique dans laquelle les données sont devenus les ressources de référence.

« Le Web 3.0 promet une meilleure rétribution des créateurs »

ENI : L’arrivée de nouvelles technologies implique parfois de nouveaux cadres juridiques (IA, blockchain, crypto, NFT…). Comment les appréhender facilement et faire valoir ses droits tout en respectant ses devoirs ?

 SCA : En effet, c’est le difficile équilibre à trouver par le législateur et le juge afin de permettre le développement des technologies et des innovations numériques, tout en sanctionnant les abus et en protégeant les utilisateurs.

Ce débat est notamment en cours dans les domaines des crypto actifs, de la blockchain ou des intelligences artificielles (IA) qui s’imposent à grande vitesse dans les usages des populations sans que les législateurs aient encore réussi à concevoir un cadre juridique adapté pour les réglementer.

Par exemple, le « Web 3.0 », qui est fondé sur l’usage de la technologie blockchain, se développe laissant espérer à certains un changement de paradigme vers un Internet plus décentralisé. Ce dernier désigne les applications et plateformes développées et opérantes sur des blockchains publiques et parfois soutenues par des Non-Fungible Tokens (NFT). Les promesses du Web 3.0 sont en partie de créer un espace numérique différent de celui que nous connaissons, particulièrement centralisé et contrôlé par une poignée de grandes sociétés, et de redonner le pouvoir aux internautes sur leurs données.

Web 3.0

Le Web 3.0 promet également une meilleure rétribution des créateurs notamment grâce à la décentralisation des plateformes et la vente de NFT, contrairement aux plateformes Web 2.0 telles que Youtube, Spotify, Deezer, etc, qui récompensent financièrement davantage l’intermédiaire en charge du traitement de données et du profiling que les créateurs.

Cependant, avec l’apparition du Web 3.0, de la blockchain, des smartcontracts, des « cryptomonnaies » et des NFTs, de nouveaux problèmes de droit se sont posés et notamment sur le terrain du droit financier, du droit pénal, et du droit de la propriété intellectuelle. Aujourd’hui, le cadre juridique du Web 3.0 reste encore assez flou et la plupart de ses applications comme les NFT ne sont ni encadrées ni règlementées. Ces récentes problématiques sont notamment abordées dans cet ouvrage « Guide juridique du numérique ».

ENI : On parle souvent des end users mais le juridique s’impose à tous dès le début des projets. On pense notamment à la création de logiciels. Existe-t-il des bonnes pratiques « universelles » ?

SCA : Le législateur français a accepté d’inclure les logiciels parmi les œuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur, en élaborant un régime particulier défini par une loi de 1985.

Ainsi, en droit français, le logiciel est un bien immatériel particulier fruit d’une création intellectuelle telle qu’une œuvre d’art ou un ouvrage.

Les logiciels sont protégés par le droit d’auteur dès lors qu’ils sont originaux c’est-à-dire s’ils sont le résultat d’un processus créatif qui est propre à leurs auteurs. Cela exclut par principe les fonctionnalités, algorithmes, et langages qui constituent généralement des éléments non originaux à l’origine même de la conception du logiciel.

À ce titre, il y a eu des débats autour de la question de savoir si un logiciel pouvait satisfaire ou non à cette condition d’originalité initialement conçue pour la protection des œuvres littéraires et artistiques.

En effet, le concepteur d’un logiciel est davantage technicien et cherche généralement à créer une œuvre fonctionnelle, ce qui peut rendre plus difficile la détermination de choix créatifs semblables à ceux de l’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique.

Ainsi, la jurisprudence française adopte une conception large et pragmatique en estimant que cette condition d’originalité est remplie lorsque le logiciel révèle « un effort intellectuel individualisé et un caractère objectif de nouveauté ».

Dans le cas de développement d’un logiciel original, un dépôt volontaire notamment auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) ou de l’Agence pour la protection des programmes (APP) peut être réalisé pour s’aménager des preuves en cas de litiges avec des concurrents ou des contrefacteurs.

En effet, l’intérêt d’un dépôt est d’abord probatoire. Cette démarche peut être utile, dans le système français, où les droits sont attachés à la création, et où il n’est donc pas toujours évident d’associer une date certaine de création.

Copyright

Il faut cependant garder à l’esprit que le dépôt n’établit pas la date de la création du logiciel, mais seulement une date à laquelle il est prouvé que le logiciel existait.

Les certificats de l’INPI ou de l’APP obtenus par le détenteur de droits sur un logiciel sont ainsi des éléments particulièrement utiles dans le cadre d’un dossier judiciaire de contrefaçon par exemple.

Par ailleurs, les créateurs de logiciels doivent être vigilants au sujet des contrats de licence qu’ils concluent avec les utilisateurs en définissant le cadre de l’utilisation du logiciel. Le droit français oblige à ce que les contrats par lesquels sont transmis des droits d’auteur, ou autorisés des exploitations, soient conclus par écrit.

Le droit interdit toute cession globale de toutes les œuvres futures et pose les conditions suivantes à la validité d’un contrat de cession notamment que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue, à sa destination, à son lieu et à sa durée.

Les Parties à un contrat de cession ou de licence ne peuvent pas se contenter d’inscrire une cession globale de tous les droits sur un logiciel dans un contrat, mais doivent déterminer précisément les contours de la cession ou de licence.

À ce titre, les Parties au contrat doivent identifier clairement la nature et l’étendue des droits cédés. Il pourra être utile pour le cessionnaire de se faire céder les mêmes droits sur le code source que sur le code objet.

Il est également recommandé de stipuler dans le contrat si le cessionnaire obtient, en outre des droits sur le logiciel, des droits sur les outils, les méthodes, le savoir-faire et la documentation liés au logiciel.

Le contrat doit également préciser le territoire et la durée de la cession et si la cession est une cession totale sur l’ensemble des droits patrimoniaux, ou partielle, sur certains droits.

Il est utile en l’occurrence de se faire accompagner par des juristes ou des avocats spécialisés en la matière pour ce type de contrats complexes.

« La créativité et l’innovation sont des facteurs essentiels de la compétitivité et la croissance des entreprises »

ENI : Avec la numérisation des contenus et les nombreux canaux de diffusion, comment un créateur peut-il s’assurer que ses droits à la propriété intellectuelle sont bien respectés ?

SCA : Internet a permis de nouvelles formes de travail créatif ainsi qu’un nouveau système de distribution pour les œuvres et les contenus notamment avec les applications et plateformes que nous utilisons quotidiennement : Spotify, iTunes, Netflix, etc.

Les plateformes de partage de contenus et les réseaux sociaux ont connu une croissance rapide au cours des dernières années et offrent de nouvelles possibilités pour les créateurs d’exploiter leurs droits de propriété intellectuelle. Mais elles entraînent également de nouveaux besoins en matière de réglementation et de protection de ces droits.

Dans nos économies, la créativité et l’innovation sont des facteurs essentiels de la compétitivité et la croissance des entreprises. Ce modèle est entièrement soutenu par les droits de propriété intellectuelle et leur contribution à l’économie.

L’avenir du secteur créatif est également lié avec une augmentation exponentielle de la quantité de données collectées quotidiennement dans le monde entier via ces applications. Aujourd’hui, l’économie des industries créatives et culturelles est extrêmement liée à celle de la collecte de données notamment personnelles sur les publics. 

Par ailleurs, la propriété intellectuelle est souvent attaquée et critiquée par les partisans d’une plus grande accessibilité des contenus et des informations sur Internet. La propriété intellectuelle est parfois perçue comme un frein, limitant la capacité d’échange culturel ou d’innovation dans le monde.

Code de la propriété intellectuelle

C’est le résultat de la révolution numérique liée à l’arrivée d’Internet qui a facilité la reproduction infinie des œuvres et, la transmission d’informations et de contenus entre les utilisateurs à l’international. Techniquement, les fichiers incorporant des œuvres de l’esprit, comme les contenus audiovisuels, ou les musiques peuvent être échangés, notamment de « pair à pair », partout dans le monde.

La philosophie d’accessibilité universelle aux informations, qui a guidé la création de l’Internet que nous connaissons, a porté atteinte à la propriété intellectuelle et au droit d’auteur dans un premier temps.

En effet, l’efficacité du droit d’auteur a été compromise par l’essor des technologies numériques et d’Internet.

Cependant, il faut être conscient que la propriété intellectuelle permet à la création et à l’innovation de prospérer notamment en matière technologique et numérique, car elle assure la rémunération des créateurs et des auteurs.

Le droit de la propriété intellectuelle a toujours dû équilibrer les intérêts des créateurs et l’intérêt général.

ENI : C’est votre premier livre aux Éditions ENI (1er livre tout cours), comment le projet est-il né ? Quel bilan tirez-vous de cette expérience ? Avez-vous l’envie ou le projet d’en réécrire ?

SCA : J’ai été ravi de la collaboration avec les Éditions ENI avec qui j’ai pu avoir des contacts régulièrement pour suivre le travail d’écriture. J’en tire un bilan très positif.

L’audience des éditions ENI me parait particulièrement intéressante pour publier des livres juridiques, car les ouvrages s’adressent à des professionnels et experts des domaines du numérique et de l’informatique qui gagnent à connaitre le cadre juridique de leurs activités. J’espère effectivement que la lecture de livre permettra à ces professionnels de se former sur les problématiques juridiques et de trouver la réponse à leurs questions. Je serai ravi de proposer une nouvelle version de ce livre intégrant les prochaines législations à venir en matière de crypto actifs, de NFT ou encore d’intelligence artificielle.

Avocat au Barreau de Paris, Sydney CHICHE-ATTALI accompagne ses clients dans les domaines du numérique, des nouvelles technologies et des industries culturelles et créatives. Passionné par le rapport entre le droit et le numérique, il a souhaité rédiger cet ouvrage pour rendre accessible le droit aux professionnels de ces secteurs.

Sydney Chiche-Attali

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