Jérémy Pastouret : Sur la partie éthique, quand on voit toutes les données récoltées (une mine d’or maintenant avec l’IA), il faut prendre conscience de l’impact et des biais qu’elles peuvent générer. On l’a vu avec les affaires Cambridge Analytica, les élections aux Etats-Unis, toute cette collecte de données peut orienter les personnes dans leur manière d’agir et de penser. Et c’est pareil avec les entreprises. Les adresses mail en leur possession (prospects, clients…) sont récupérées par des applications et circulent ensuite sur des outils plus ou moins transparents. Il faut donc faire attention aux applications que l’on installe et aux informations qu’on leur confie.

ENI : Faut-il alors, simplement, comme certains le prônent, réduire nos pratiques numériques ?
JP : Si on se concentre sur Internet par exemple, son but était à l’origine de partager l’information, de la rendre plus accessible à tous. Pour le moment, il semblerait surtout que les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) l’ont gangréné avec un business model basé sur le capitalisme, notamment de la publicité générant beaucoup d’argent. Là, le problème c’est surtout l’usage.
Il y a de bonnes manières d’utiliser le numérique. On peut éviter certains services lourds et privilégier des outils légers, sans revenir au papier par exemple. Quand on voit l’émergence de l’IA que l’on commence à utiliser comme Google pour lui poser des questions… comparativement, l’impact est plus léger quand on cherche sur Google que sur une IA qui est entrainée en faisant surchauffer des serveurs pour fournir une réponse plus rapide.
LP : Le numérique est précieux, cela permet de faire énormément de choses. Ce devrait être un bien commun. Mais à force de l’utiliser 24h/24, 7 jours/7, de piller de la planète pour fabriquer des équipements qui ont une très courte durée de vie, on compromet la possibilité pour les générations futures de se servir de ce bien commun. On a donc une question de responsabilité, de sobriété dans l’utilisation pour préserver cette capacité.
Mais on constate qu’il est difficile de décider de s’extraire complètement du numérique. Cela implique forcément une mise à l’écart de la société. Mais on peut faire moins, on peut faire mieux.

Le numérique n’est pas dématérialisé.
ENI : Comment ? Quand on est un particulier, sur quels leviers on peut agir en priorité ?
LP : Ce n’est pas par hasard si le premier chapitre de notre livre porte sur les équipements. Il faut revenir aux terminaux, à l’ensemble du cycle de leur vie, de l’extraction des métaux à ce qu’ils deviennent quand ils sont cassés ou obsolètes. Cela ne disparaît pas comme par magie. Il faut donc réfléchir à leur utilisation.
Il faut aussi faire prendre conscience au grand public que le numérique n’est pas dématérialisé. On a l’impression qu’il n’y a plus besoin de câbles. Il y a le Cloud (« nuage »), qui a l’air si léger… Alors qu’au contraire, tout repose sur des data centers sur des kilomètres carrés, des câbles sous-marins qui traversent les océans, des antennes, etc. C’est extrêmement concret mais il est rare qu’on le voit. Donc déjà prendre conscience de ça, remettre les choses dans leur contexte, c’est important. Chaque requête a un poids, chaque image envoyée est stockée et démultipliée sur des serveurs sur l’ensemble de la planète. Chaque action que l’on fait a des conséquences.
JP : Sur les réseaux sociaux et les plateformes de streaming. En contrôlant notre usage, en se fixant un temps que l’on évite le plus possible de dépasser. Se forcer à ne pas s’en servir avant de se coucher en scrollant (faire défiler l’écran), scrollant pour en fait perdre du temps… Il y a des options qui existent, certes bien cachées. C’est aussi de cela dont on parle dans le livre. Même si c’est juste pour recevoir, avant d’aller se coucher, une notification qui nous dit d’arrêter, cela plante une petite graine dans la tête.
Les plateformes de streaming vous proposent toujours un nouveau film, une nouvelle série… Il faut prendre du recul, avoir plus de de pouvoir de décision sur nos vies. Et ne pas être dépendants de ces services, conçus par des personnes qui connaissent bien le fonctionnement du cerveau humain.

Le législateur sera toujours en retard sur la Tech
ENI : Comment y parvenir ? Par la contrainte règlementaire ?
JP : L’Etat a un peu commencé avec la Loi REEN (Réduction de l’Empreinte Environnementale du Numérique en France), sur le matériel, la formation dans les écoles supérieures pour sensibiliser les étudiants à ces enjeux. Il y a donc déjà un premier pas.
Il y a aussi des lois pour imposer l’accessibilité des sites aux collectivités ; du côté des entreprises, en fonction d’un certain niveau de CA, elles sont obligées de rendre leur site accessible selon le Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité (RGAA), c’est la raison pour laquelle il y a maintenant une bannière conforme/non-conforme.
Globalement, sur le sujet du numérique responsable, il faut pouvoir en discuter au sein de l’entreprise. Que les collaborateurs s’accordent sur des règles. On l’a vu avec les groupes RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) mis en place dans des entreprises : c’est possible d’avancer et ça, c’est intéressant.
LP : En fait, le législateur sera toujours en retard sur la Tech. Il y a le temps de comprendre le sujet, de définir ce qu’il faut réglementer, etc. Je ne dis pas que c’est un travail facile. Mais la législation est indispensable.
Le règlement européen sur la protection des données a marqué un pas dans la bonne direction même si cela a engendré beaucoup de contraintes pour les entreprises. Pour les utilisateurs, c’était une étape essentielle. Et l’UE réfléchit en ce moment à encadrer les IA (Intelligence artificielle). Il y a également eu des lois sur le droit à la déconnexion.
Mais pour que les entreprises adoptent ces pratiques de responsabilité numérique, il faut utiliser un discours qui mette en valeur les avantages que cela peut avoir, avec la relation client, les économies qu’elles peuvent réaliser…

Louise PASTOURET est la co-fondatrice du média Les Enovateurs. Experte en communication digitale, elle décrypte les rouages – et les conséquences – des réseaux sociaux, newsletters, etc. Elle accompagne les entrepreneur·es pour réduire leur impact sur ces plateformes, et rendre leurs services en ligne accessibles à tous.
Jérémy PASTOURET est développeur de solutions Web et expert en sobriété numérique. De par son expérience sur le terrain, il identifie au quotidien les problématiques éthiques et environnementales du numérique. Il a conçu plusieurs outils gratuits pour réduire cet impact (Garwen, Unlock My Data…).
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