Mais, un ordinateur quantique, à quoi ça sert ?

29/05/2024 | Portraits d’experts, Société & tendances

Temps de lecture  8 minutes

Le 6 mars 2024, Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a dévoilé le programme PROQCIMA. Celui-ci incarne les ambitions du gouvernement français visant à propulser la France au rang de leader mondial dans le domaine de l’informatique quantique. Pour mieux en comprendre l’objectif, revenons sur les fondamentaux…

Par Grégoire Cattan, Ingénieur en informatique, docteur en ingénierie de la cognition et auteur aux Editions ENI

L’objectif de PROQCIMA est clair : développer un ordinateur quantique universel, résilient aux erreurs et utilisable dans l’industrie. Cette avancée permettrait à la France de consolider sa position face à des géants américains tels qu’IBM, Google, AWS et Rigetti Computing.

Pour atteindre cet objectif ambitieux, cinq fleurons de la technologie française, à savoir Alice & Bob, C12, Pasqal, Quandela et Quobly, ont été sélectionnés pour concourir pendant huit ans à l’élaboration de la technologie quantique de demain.

Mais pourquoi cet engouement pour le quantique ? Qu’est-ce qu’un ordinateur quantique universel ? Et que peut-on en faire ? Autant de questions qui peuvent surgir. Tentons d’y répondre succinctement.

Engouement pour le quantique

L’informatique quantique découle de la physique quantique, une discipline qui trouve quant à elle ses origines dans les expériences de Thomas Young, notamment celle des doubles fentes (1802). Elle consiste à placer une raie de lumière très fine en face de deux fentes, et à observer le résultat de cette opération sur un écran de projection disposé derrière ces dernières. Si vous avez l’occasion de reproduire cette expérience, vous pourrez observer un motif d’interférence sur l’écran de projection.
double fente

Expérience de la double fente. Un canon à électron est placé face à deux fentes. Ce canon envoie un fin faisceau, constitué d’un électron, au travers des deux fentes.  (https://en.wikipedia.org/wiki/Double-slit_experiment)

Pour mieux appréhender ce phénomène, imaginons que nous remplaçons la lumière par de l’eau. Nous observerions alors un phénomène similaire : les vagues d’eau passant à travers les deux fentes se superposeraient et interagiraient entre elles, créant des motifs d’interférence sur l’écran de projection. Cette analogie avec les ondes d’eau illustre le comportement ondulatoire de la lumière.

phénomène interférence

Cette représentation schématique illustre le phénomène d’interférence. Les points bleus à gauche représentent les fentes d’interférence (ou les points de départ des ricochets dans l’eau). L’onde se propage en cercles concentriques à partir de ces points de propagation. Lorsque les ondes produites par les deux sources d’interférence (ou les fentes) se rencontrent, elles s’entrecoupent à intervalles réguliers. Ce phénomène résulte en une superposition d’ondes où leurs énergies s’additionnent, atteignant un maximum représenté par les lignes grises pointillées.

Cette superposition conduit à une alternance de zones d’interférence constructive, représentées par des pics, et de zones d’interférence destructive, représentées par des creux, dont l’amplitude dépasse celle de l’onde d’origine. Dans l’expérience de Young, cette manifestation se traduit par des franges d’interférence lumineuse alternant entre des maximums de luminosité (représentés ici en bleu) et des minimums (représentés en noir).

(Simulation réalisée sur le site ophysics.com)

Ce modèle a été enrichi au XXe siècle par Einstein et Compton avec la découverte du photon, la particule élémentaire de la lumière, introduisant ainsi la dualité onde-particule.

Revenons à l’expérience de Young : une particule telle qu’un photon, lancée à travers les deux fentes à grande vitesse, se comporte comme une onde, passant à travers les deux fentes simultanément et interagissant avec elle-même, ce qui explique le motif d’interférence observée sur l’écran de projection.

Cette caractéristique a donné lieu à diverses interprétations, la plus célèbre étant probablement celle d’Everett ou des mondes multiples. Selon cette interprétation, l’univers réalise simultanément toutes les options possibles lorsque la particule est confrontée aux deux fentes. Il faut donc imaginer deux univers locaux, cohabitants en parallèles, identiques en tout point, mais dans lesquelles la particule aurait emprunté des chemins différents.

Ainsi, la particule se trouve dans un état de superposition, une notion cruciale en informatique quantique. Par analogie avec les ordinateurs numériques, nous désignons par qubits l’information contenue par une particule en état de superposition.

En considérant un système de deux particules, ou qubits, nous avons donc quatre états possibles. Chaque qubit étant une superposition de deux états, un système de deux qubits peut se trouver simultanément dans quatre états distincts. En comparaison, deux bits classiques ne peuvent représenter qu’un seul état parmi quatre possibles. De manière générale, avec un système de n qubits, nous avons simultanément 2n états différents, alors qu’il faudrait 2n bits pour représenter ces états de manière classique. Cette capacité à traiter simultanément un grand nombre d’états donne à l’informatique quantique un potentiel de calcul exponentiel par rapport aux ordinateurs classiques, ce qui explique l’engouement considérable pour cette technologie.

Qu’est-ce qu’un ordinateur quantique universel ?

Un ordinateur quantique universel fait référence à la notion de machine de Turing universelle en informatique, une machine capable d’exécuter n’importe quel algorithme, offrant ainsi une solution pour l’ensemble des problèmes calculables. Un ordinateur, par exemple, pourrait s’apparenter à une machine de Turing universelle, car on peut le reprogrammer pour simuler n’importe quel algorithme.

Un contre-exemple serait une machine conçue spécifiquement pour compter le nombre de “a” dans une phrase. Cette machine ne pourrait pas être reprogrammée pour compter le nombre de “a” et de “b”, car elle est limitée à l’algorithme pour lequel elle a été conçue.

Pour qu’une machine de Turing puisse être qualifiée de machine de Turing universelle, il faut également prendre en compte sa capacité de mémoire. Reprenons l’exemple de notre machine qui compte le nombre de “a” dans une phrase. Imaginons qu’elle dispose d’un compteur à deux chiffres pour cette tâche (elle peut donc compter de 0 à 99). Lorsque la phrase est suffisamment longue pour que le nombre de “a” dépasse la capacité du compteur, celui-ci est remis à zéro. Ainsi, cette machine ne peut compter que le nombre de “a” dans une phrase, à condition qu’il n’y ait pas plus de 99 occurrences. Une machine de Turing universelle doit certes avoir une entrée finie mais n’a pas cette limite.

Un ordinateur quantique universel est un peu comme une machine de Turing universel sous stéroïde, capable de simuler les opérations de mécanique quantique.

Il est théoriquement capable de réaliser les mêmes opérations qu’un ordinateur classique, tout en exploitant les principes de la mécanique quantique. Par exemple, il peut traiter une superposition d’états en entrée.

La réalisation d’un tel ordinateur quantique universel est très ambitieuse, notamment en raison du phénomène de décohérence quantique, qui peut perturber les qubits et ainsi compromettre la précision des calculs.

La décohérence quantique se réfère à de subtiles perturbations, telles que les interactions entre particules ou les interférences électromagnétiques, qui progressivement “brisent” l’état quantique. On peut l’illustrer avec une métaphore orchestrale : imaginez deux musiciens jouant en parfaite synchronisation. Soudain, l’un d’eux est dérangé par les applaudissements du public et rate une note. Ce petit incident décale les deux musiciens, altérant la musique produite.

Un ordinateur quantique universel, concerne donc particulièrement un type d’ordinateur quantique disposant de qubits logiques. Ces qubits logiques sont des regroupements de qubits physiques qui permettent la correction d’erreurs, notamment celles engendrées par la décohérence quantique. Cette capacité de correction d’erreurs augmente considérablement le temps disponible des qubits, garantissant ainsi une meilleure fiabilité des calculs réalisés.

Sont concernés aussi avant tout les ordinateurs quantiques basés sur des circuits et qui sont pourvus d’un ensemble de commandes similaires à un assembleur, suivant ainsi le modèle des ordinateurs numériques classiques. Cette approche permet en effet l’émergence d’ordinateur quantique reprogrammable, capable d’exécuter une large gamme d’algorithmes quantiques. En revanche, elle exclut délibérément des solutions tels que celle du constructeur D-Wave, fondé sur le calcul adiabatique, qui se limite à la résolution d’une catégorie spécifique de problèmes.

La réalisation d’une telle machine est donc un plan ambitieux. Avec un nombre suffisant de qubits et des opérations entre ceux-ci offrant une précision adéquate, il serait possible de réaliser n’importe quel calcul, ouvrant ainsi de vastes perspectives en termes de résolution de problèmes complexes.

Le prototype Advantage2 de D-Wave

Le prototype Advantage2 de D-Wave

Qu’est-ce qu’on peut faire avec ?

Face au potentiel considérable de cette technologie, il est compréhensible que la France cherche à s’impliquer dans cette course à l’armement technologique.

Toutefois, notons que le potentiel d’une technologie ne garantit pas nécessairement des applications pratiques immédiates. Prenons un exemple : supposons que vous souhaitiez voyager de Madrid à Cracovie. Il existe très probablement un nombre considérable d’itinéraires et de détours possibles entre ces deux villes. Calculer l’ensemble de ces itinéraires représente une tâche titanesque.

Un ordinateur quantique doté d’un nombre suffisant de qubits pourrait potentiellement calculer ces trajets plus rapidement. Cependant, dans la pratique, des solutions intelligentes existent déjà, comme les applications GPS telles que Google Maps, qui résolvent efficacement ce type de problème complexe sur des ordinateurs classiques.

En pratique, il est légitime de se demander s’il existe des problèmes ou des domaines d’application pour lesquels l’informatique quantique, seule ou dans le cadre d’une approche hybride avec un ordinateur numérique, offre un avantage significatif.

En dehors des défis techniques, cela ouvre la voie à la créativité, à la recherche et à l’innovation.

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Ingénieur en informatique et docteur en ingénierie de la cognition, un domaine à cheval entre l’informatique, l’apprentissage automatisé et les neurosciences, Grégoire CATTAN commence son exploration de l’informatique quantique dans le cadre de ces activités de recherche. Aujourd’hui ingénieur logiciel pour IBM, il est également reconnu en tant que Qiskit Advocate et promeut l’utilisation de IBM Qiskit pour l’informatique quantique. Ce livre est l’occasion pour lui de partager au lecteur toute son expertise dans ce domaine.

Grégoire Cattan

Ingénieur en informatique, docteur en ingénierie de la cognition et auteur aux Editions ENI

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