Analytique : tout savoir sur le logiciel libre Matomo

11/04/2023 | Paroles d’experts, Webmarketing

Temps de lecture  10 minutes

Il n’y a pas que Google Analytics dans le monde de la donnée web ! Matomo, logiciel libre, est une alternative performante mais aussi éthique à la solution du géant américain. Si les habitudes ont la vie dure, il va pourtant falloir que les entreprises en changent pour garder le contrôle sur l’un de leurs biens les plus précieux, la donnée.

C’est notamment en ce sens que Matomo se positionne comme une excellente solution et c’est ce qui pousse Ronan Chardonneau, formateur indépendant et enseignant-chercheur en marketing numérique, et Frédéric Forster, consultant, à prôner son adoption massive dans les entreprises et institutions. Suite à la sortie de leur ouvrage « Matomo – L’outil de web analytics libre et éthique », nous avons interrogé ces deux experts…

ENI : Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le logiciel Matomo ?

Ronan Chardonneau : Avant de parler de Matomo en lui-même, il faut parler de logiciel libre puisque c’en est un.

Quand on crée un logiciel, il y a 2 écoles.

Soit vous considérez que ce que vous avez créé est le fruit de votre travail, qu’il vous appartient et vous le mettez à disposition sous forme de licence, comme l’acteur principal du marché Google Analytics. Ce dernier a tout de même la particularité que la licence est un peu cachée avec un business model sur de la donnée. Or en tant que consommateur final, on ne peut la visualiser, on ne sait rien de la donnée, de son exploitation, il n’y a pas de transparence.

Soit vous avez une autre posture, basée sur le bien commun, qui remonte à 40-50 ans en arrière, quand Richard Stallman, frustré de ne pas avoir accès au logiciel qui débloquerait son imprimante, initia le logiciel libre.

Livre Matomo

Matomo c’est ça, c’est un logiciel libre, un bien commun. Les personnes qui travaillent à son développement ne le considèrent pas comme une propriété intellectuelle. Il y a donc 4 libertés fondamentales derrière :

  • La possibilité d’ouvrir le programme, de l’utiliser à n’importe quelle fin
  • La possibilité de l’étudier
  • La possibilité de le modifier
  • La possibilité de redistribuer des copies et de gagner de l’argent avec.

Il est spécialisé dans l’analyse d’audience, qui permet l’analyse comportementale des visites sur un système d’information. Je préfère parler de système d’information plutôt que de site Internet car on peut utiliser Matomo avec des données provenant de n’importe où, cela pourrait être une machine à laver connectée ou tout ce que l’on veut. Contrairement à Google Analytics, il n’y a pas de conditions générales d’utilisation, on peut donc détourner son usage. C’est le seul logiciel libre d’analyse comportementale webanalytics.

ENI : Le paysage de l’analyse d’audience est écrasé par Google Analytics (GA) créant une forte dépendance pour de nombreuses entités. C’est en ce sens notamment que Matomo présente des atouts ?

Frédéric Forster : C’est la seule alternative Open Source mais il y a d’autres solutions qui permettent de respecter les régulations comme Piwik Pro, qui est aussi side-centric, Piano, etc. Il y a une liste de solutions approuvées sur le site de la CNIL.

Il y a deux façons de procéder dans la mesure d’audience :

  • Mesurer les pages lues et les événements comme dans Matomo ou la version 3 de GA. Ce sont des outils side-centric.
  • Mesurer les interactions sur un site ou une application où tout est basé sur l’événement, comme dans la V4 de GA. Mais ce n’est pas le premier à faire du user-centric.
Logo Matomo

ENI : Ce sont des outils de plus en plus importants pour les entreprises, amenant à la prise de décision. L’emprise de Google n’est-elle pas un problème ?

FF : C’est une question d’éducation, un peu comme quand on a une mauvaise habitude dont on a du mal à se départir. Mais les régulations font que l’on va avoir de moins en moins le choix.

C’est sûr que changer d’outils n’est pas évident. On se pose des questions sur les méthodes pour faire l’attribution, le retargeting, etc. C’est vraiment un changement d’habitude à prendre. Mais avec Google, on n’a pas toute la donnée, on n’en est pas propriétaire…

RC : Ce qui fait changer les choses c’est l’argent, d’où l’intérêt de l’axe « Follow the money ». Il commence à y avoir du business dans le juridique, notamment avec None of Your Business qui fait bouger les choses en déposant des mises en demeure, ce qui a embêté Google Analytics. Quand on commence à avoir des juristes qui jouent les chevaliers, certes pour de l’argent, les commissions Vie Privée sont obligées d’agir. Cela peut impacter la législation bien sûr mais aussi l’éducation donc, les mœurs. Beaucoup de choses changent là-dessus.

Les réflexions sociétales que l’on observe, sur l’environnement, le développement durable, touchent aussi le numérique. Avec le niveau d’éducation qui augmente, on réalise qu’il y a des logiciels libres, des grands « méchants », qu’il y a beaucoup d’argent qui part on ne sait où…

Malheureusement la culture du numérique ne monte pas en flèche mais elle augmente. Il y a donc d’autres types de « chevaliers » qui apparaissent, plus intéressés par l’image que l’argent. On l’a vu récemment sur Twitter où la ville de Toulon s’est fait pointer du doigt pour utiliser Google Analytics. Si Monsieur Tout-le-Monde peut faire ça, ça va créer un effet boule de neige ; la CNIL interviendra et fera bouger, même sans amende. Frédéric et moi rencontrons beaucoup d’acteurs gênés par leur image qui nous appellent justement à la rescousse pour passer sur Matomo.

Si cette éducation ne monte pas vite, en revanche elle ne « redescend » jamais. Je suis donc plutôt positif sur l’avenir de Matomo. Si l’exemple de la domination de Windows sur le marché des OS montre que la culture du logiciel libre n’est pas encore là, cela progresse.

FF : Cela va venir. La question, comme ce fut le cas pour WordPress par exemple, est comment on fait pour que Matomo prenne toute sa place.

RC : C’est notre boulot et la raison d’être de ce livre. La France, mine de rien, a une bonne part du marché Matomo. Le premier c’est l’Allemagne, ensuite c’est la France. D’un point de vue européen et mondial, c’est donc important que la France joue son rôle, montre qu’elle peut faire de bonnes choses. On veut prouver qu’un univers sans GA c’est possible. Un nos partenaires suédois, Digitalist AB, fait l’effort de « dégafamiser » les entreprises de son pays en proposant toute une gamme de services. Idem pour l’entreprise angevine Empreinte Digitale. Mais pour cela, il faut de l’éducation et des investissements en R&D.

Le logiciel libre rend plus responsable

ENI : C’est sa nature de logiciel libre qui fait de Matomo un outil éthique pour le traitement des données personnelles ?

RC : Oui. Nous en parlons dans un chapitre du livre. À aucun moment sur Google on ne voit la base de données. Sur Matomo, il faut télécharger le logiciel au départ, l’installer sur un serveur de base de données et là on voit la base. Sur les solutions propriétaires, on ne sait pas à quoi ressemble la base, où elle est située, s’il n’y a pas des bases intermédiaires pour recouper tous les comportements et obtenir des leviers… On ne peut rien prouver.

Alors que sur Matomo, c’est simple, la base de données est là, la technologie est open source et donc si vous êtes la CNIL ou autres, c’est simple de prouver. Encore une fois, c’est de l’éducation. Quand vous suivez un cours Google, on ne voit jamais ces aspects. Se former à Matomo ou au logiciel libre, cela rend les gens plus alertes, plus sensibilisés au RGPD, etc. Le logiciel libre rend aussi plus responsable puisqu’on fait soi-même les choses.

Matomo interface

ENI : Un des moyens d’amener les utilisateurs vers ces outils est de parler utilisation. Quelles fonctions de Matomo méritent d’être mises en avant ? Comment cela fonctionne ?

FF : On va parler des sites Web car c’est la majorité des utilisations. C’est un compteur de pages vues à l’intérieur d’une visite. Une visite, il faut la voir comme une boîte à chaussures, il y a plein d’étiquettes dessus : le pays par exemple, une autre avec la durée, la source, toutes les interactions, les pages, les achats… Matomo mesure donc ce qui se passe pendant les visites des utilisateurs. Il se base sur un cookie de première intention pour créer des utilisateurs. Dans Matomo, un utilisateur c’est donc juste un numéro de cookie dans un navigateur. Et à chaque visite, le logiciel créé une nouvelle « boîte à chaussures ».

Selon ce que l’on souhaite, Matomo peut aussi enregistrer les visites en vidéo ou faire des cartes de chaleur pour travailler sur l’UX, faire des tests A/B, faire des rapports personnalisés… Bref, cela permet énormément de choses. Cela fait la même chose que Google Analytics version 3 en amélioré puisque cela traque spontanément tout un ensemble de choses comme les liens sortants, les interactions téléchargement, les recherches sur site, etc. Comme dans GA version 4.

RC : Comme c’est un logiciel libre, ce qui est intéressant c’est que l’on peut créer des ramifications, des plug-ins et cela ouvre le champ des possibles. Ce n’est pas beaucoup exploité par la communauté mais avec ChatGPT, ou plutôt d’ici une version améliorée, cela devrait changer. Il faut environ 20 minutes à un non développeur pour créer un plug-in Matomo. C’est très rapide.

Aujourd’hui, c’est surtout l’équipe de Matomo qui propose des plug-in, payants. Mais cela montre la mentalité de ce que l’on peut faire. Ils ont par exemple fait le plug-in « Keyword Search Performance » qui va aller chercher toutes les données dans les Search Console, qu’il s’agisse de Google, Bing ou autres. Avec un outil neutre, il n’y a pas la notion de concurrence qui habite Google.

On peut aussi créer des plug-ins qui vont récupérer tous les flux RSS de la concurrence, pour voir leur fréquence de contenus par exemple. On peut faire ce qu’on veut.

Le souci c’est que les développeurs ne sont pas assez intéressés par cet outil car il est marketing et pas scientifique ; et les marketeurs sont opaques à la programmation. Or ChatGPT va permettre de faire le lien. C’était déjà le cas avec Tag Manager, le gestionnaire de balises, qui avait réuni développeurs et marketing. L’intérêt de Matomo, son potentiel, n’est pas encore été complètement exploité.

Matomo est utilisé depuis longtemps par les plus grands

ENI : À qui peut s’adresser Matomo ?

RC : À tous ! Il y a en revanche deux cas qui peuvent être problématiques.

Les très grandes volumétries, issues soit de grandes structures soit de start-ups qui s’adressent au monde entier, posent souci. L’hébergement, le stockage a un coût. Si le site est statique, le poids ne bougera pas beaucoup. Mais avec Matomo, chaque jour la base grossit, logiquement. Donc il faut des serveurs puissants et la courbe est exponentielle. Or, à la fin du raisonnement, on se retrouve dans un paradoxe puisque les meilleurs serveurs sont ceux des acteurs US. Donc on revient au problème de base de respect de la vie privée. À moins que l’on ait un jour le fameux cloud souverain dont on parle tant…

Et il y a l’inverse, les très petites structures. Quand vous dites à une toute petite entreprise d’arrêter GA qui est gratuit pour passer sur une solution qui nécessite de payer l’hébergement des données, forcément cela pose problème. D’autant que beaucoup pensent le numérique gratuit.

Heureusement, il y a des initiatives qui peuvent aider comme par exemple l’intégration de Matomo dans WordPress.

ENI : Et d’un point de vue opérationnel, qui peut prendre en main cet outil ? Les SI ? Le marketing ? Il faut des compétences spécifiques ?

RC : C’est le même public que pour Google Analytics, les équipes métier. Mais par rapport à GA, il faudra ajouter le profil d’administrateur système, qui va installer et maintenir l’application sur le serveur de la structure. Google Analytics est plus simple là-dessus et permet d’être rapidement autonome et autodidacte.

De plus en plus de prestataires hébergeurs connaissent Matomo, cela se développe et peut aider. Des agences, porteuses de valeurs, s’y mettent aussi.

ENI : En dehors de la lecture du livre, quelques conseils donneriez-vous à quelqu’un qui s’interroge sur la mise en place de Matomo ?

RC : D’abord de le télécharger, de le mettre sur son propre serveur et… d’apprendre. C’est l’école de la Vie, c’est propre au logiciel libre. Il ne faut pas avoir peur, tester, monter en compétences, etc. La solution est utilisée depuis longtemps par les plus grands.

Il y a en effet déjà de nombreux acteurs qui y sont passés, de Tesla à Linkedin en passant par Microsoft et les gouvernements. Pas sur les sites publics, car cela coûterait cher en serveur. Mais sur les intranets, oui. Pas pour espionner mais pour optimiser.

Dans ces cas, ils mettent du Matomo car ils sont propriétaires de la donnée et vu l’importance des données internes… Quand il faut faire les choses bien, c’est Matomo que les grandes entreprises choisissent !

ENI : Frédéric, c’est votre premier ouvrage. Comment avez-vous vécu la chose et le referez-vous ?

FF : Très bien d’autant que c’est Ronan qui me l’a proposé et a fait 80% du travail ^^

Il y a une méthodologie. Ronan ayant écrit plusieurs livres, il a donné la marche à suivre. Je n’ai pas trouvé ça trop compliqué et donc s’il y a un sujet pour lequel je suis légitime et que l’envie est là, pas de souci !

Ronan CHARDONNEAU est formateur indépendant et enseignant-chercheur en marketing numérique. Maître de conférence associé à l’université d’Angers en e-marketing, il est l’auteur de plusieurs ouvrages aux Editions ENI sur Google Analytics, Google Tag Manager et Piwik et organisateur des Measure Bowling pour la ville de Nantes. Ronan est par ailleurs diplômé du Award of Achievement in Digital Analytics de l’université canadienne British Columbia.

Ronan CHARDONNEAU

Notre expert Matomo

Frédéric FORSTER est Consultant Web Analytics indépendant spécialisé sur la solution Matomo Analytics. Il accompagne des entreprises et des établissements publics dans la définition de leur stratégie de mesure de performance digitale. Il est ancien directeur pédagogique du Master Marketing Digital de l’EMA Vendée Nantes Atlantique, et co-organisateur du MeasureCamp Nantes et du MatomoCamp.

Frédéric Forster

Notre expert Matomo

Pour aller plus loin

vidéo Sécurité informatique Les bonnes pratiques pour l'utilisateur
Livre
Matomo
L’outil de web analytics libre et éthique
Coffret sécurité informatique et malwares
Livre
Data Marketing
Statistiques appliquées au marketing avec Excel et R
Cybersécurité et PowerShell
Livre
App Inventor 2
Concevez des applications Android pour mobile
Livre cybersécurité et malwares

Vidéo

Big Data
Découverte, concept et exemples

POUR LES ENTREPRISES

Découvrez nos solutions de formation pour vos équipes et apprenants :

Réfléchir en amont
elearning

En e-learning avec
notre offre pour les professionnels

formateur

Avec un formateur,
en présentiel ou à distance

Restez connecté !

Suivez-nous
LinkedIn
Youtube
X
Facebook
Instagram
Contactez-nous
E-mail

Inscrivez-vous à notre newsletter

Je suis intéressé(e) par :

En vous inscrivant, vous acceptez la politique de protection des données du groupe Eni. Vous aurez la possibilité de vous désabonner à tout moment.