Des premiers virements électroniques à la blockchain
Introduction
Avant l’informatisation massive des institutions financières, les virements de fonds étaient effectués manuellement par des opérations de compensation entre banques, via des échanges de documents physiques (chèques, lettres de crédit) et des télégrammes puis des fax pour les transactions internationales, un processus lent et propice aux erreurs. Les premiers systèmes de virement de fonds électroniques ont permis des transferts rapides, sécurisés et automatisés entre comptes, réduisant les délais de traitement de plusieurs jours à quelques heures, et ouvrant la voie à la modernisation du secteur bancaire. Aujourd’hui, l’adoption de standards globaux comme SWIFT, mais aussi les nombreux systèmes régionaux (comme SEPA en Europe) de plus en plus intégrés, ont permis de réduire les délais et les risques des transactions financières internationales. Cependant, malgré ces progrès, le système financier traditionnel reste largement opaque et tributaire d’intermédiaires centralisés, entraînant des coûts et des délais supplémentaires.
C’est dans ce contexte qu’émerge la blockchain (« chaîne de blocs » en français, mais nous utiliserons le terme anglais), une technologie...
Les transferts de fonds électroniques
L’histoire des virements bancaires électroniques est un chapitre fascinant de l’évolution des systèmes financiers et des réseaux de communication, impliquant de multiples innovations technologiques et des adaptations organisationnelles au fil des décennies. Ce processus a permis d’accélérer et de sécuriser les transactions financières internationales, transformant les échanges économiques mondiaux. Examinons ces évolutions dans un ordre chronologique.
1. Les prémices des virements électroniques
Avant l’ère électronique, les transactions bancaires étaient principalement effectuées par chèque ou par transfert physique d’espèces et de documents. La demande pour des moyens de paiement plus rapides, surtout à l’échelle internationale, mais aussi les opportunités provenant de l’informatisation des acteurs financiers, ont poussé l’adoption de technologies de communication pour les transferts financiers.
a. Le télégraphe (milieu du 19e siècle)
Le premier jalon dans l’histoire des virements bancaires électroniques fut l’invention du télégraphe en 1837 par Samuel Morse. Cette invention permit aux banques d’envoyer des instructions pour effectuer des transferts d’argent à distance plus rapidement que les courriers physiques. Les banques utilisaient des messages cryptés envoyés via le réseau télégraphique pour authentifier les transferts d’argent, une pratique...
Le problème du système financier mondial
Les reproches au système financier mondial foisonnent depuis une vingtaine d’années - crise des subprimes (2007 - 2008), crise de la dette des pays sud européens (2010-2012), etc. Les crises s’enchaînent et le comportement des banques suscite de plus en plus de griefs.
Du fonctionnement des chambres de compensation au blocage de comptes des individus sur de suspicions rarement avérées, en passant par frais prohibitifs pris par les institutions dans les pays occidentaux, voyons les principaux reproches.
1. Le problème des chambres de compensation
Les chambres de compensation, ou sociétés de clearing, ont joué un rôle crucial dans la sécurisation des transactions financières pendant des décennies.
Elles agissent comme intermédiaires entre les acheteurs et les vendeurs. Leur principale raison d’être est de garantir la sécurité et l’efficacité des échanges financiers en réduisant les risques de contrepartie, c’est-à-dire le risque qu’une des parties ne respecte pas ses engagements. Elles s’assurent que les transactions sont correctement exécutées et réglées en temps voulu, en centralisant le processus de compensation et en assurant la liquidité. Ce rôle est particulièrement critique dans les marchés boursiers, les échanges de devises, et les transactions de gros montants.
Les chambres de compensation permettent également d’optimiser les transferts effectifs de fonds nécessaires. Plutôt que de régler chaque transaction individuellement, la chambre de compensation calcule les soldes nets de chaque institution participante (les montants qu’elle doit recevoir et ceux qu’elle doit payer). Ce processus de regroupement, appelé compensation, permet de réduire le nombre de paiements réels à effectuer, limitant les mouvements de liquidités et les risques de règlement. Une fois les soldes nets établis, les paiements finaux sont exécutés lors de l’étape de règlement (settlement), où les fonds sont effectivement transférés entre institutions.
Les chambres de compensation gèrent un registre central...
La blockchain
Lorsqu’on évoque la technologie de la blockchain, il ne s’agit pas uniquement de la blockchain elle-même, mais également de l’ensemble du réseau qui se structure autour d’elle, ainsi que des protocoles qui y sont associés.
1. Une vue simplifiée de la blockchain
Un concept simplifié de blockchain peut être représenté comme sur la figure 4-5.

Figure 4-5 - Une représentation simplifiée de la blockchain
Les aspects essentiels de cette technologie sont les suivants :
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Le réseau de la blockchain est un réseau de pair-à-pair (peer-to-peer), constitué de nœuds indépendants qui communiquent entre eux par diffusion de messages. Ce réseau décentralisé repose sur l’interconnexion de ces nœuds, chacun jouant un rôle dans le fonctionnement global du système.
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L’élément central de ce réseau est la blockchain elle-même. Chaque nœud du réseau possède sa propre copie de la blockchain, garantissant ainsi la redondance des données et la sécurité du réseau.
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Un nœud n’est pas nécessairement connecté à tous les autres nœuds, mais il est relié à un nombre suffisant d’entre eux pour assurer la bonne circulation de l’information à travers le réseau entier.
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La blockchain se présente sous la forme d’une liste de blocs, ces blocs étant des enregistrements numériques de données, stockés de manière linéaire. Chaque bloc contient des informations spécifiques, telles que des transactions dans le cas de Bitcoin, et est sécurisé par une empreinte cryptographique unique (hash en anglais).
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Chaque bloc inclut l’empreinte du bloc précédent dans la chaîne, créant ainsi un lien indissociable entre eux. Ce lien garantit l’intégrité des données stockées dans l’ensemble de la blockchain, assurant que celles-ci n’ont pas été altérées et qu’elles restent immuables.
Cette architecture a pour effet de créer une chaîne continue de blocs, depuis le bloc initial, appelé bloc de genèse, jusqu’au bloc courant...
Les aspects techniques de la blockchain
Une copie complète de la blockchain d’une cryptomonnaie, telle que le Bitcoin, contient l’intégralité des transactions jamais effectuées dans cette monnaie. Cette copie retrace donc l’historique exhaustif des échanges entre toutes les adresses du réseau depuis sa création. Grâce à ces informations, il est possible de déterminer, à tout moment dans l’histoire, la quantité de valeur (en bitcoins) qui était associée à chaque adresse spécifique, en descendant l’historique des mouvements de Bitcoin.
1. La structure de données
La structure de la blockchain se présente sous la forme d’une liste ordonnée et chaînée de blocs de transactions. Le chaînage se matérialise par la copie dans chaque bloc de l’empreinte cryptographique du bloc précédent. Cette structure garantit que chaque bloc est chronologiquement placé après le précédent, puisque l’empreinte du bloc précédent est nécessaire à la formation du bloc suivant. Sans cette empreinte, la construction de la chaîne serait impossible.
À nouveau, une fois qu’un bloc a été intégré dans la chaîne et qu’il y est resté pendant un certain temps, il devient pratiquement impossible à modifier d’un point de vue computationnel.

Figure 4-9 - Structure de la blockchain
Les données des transactions sont donc enregistrées de manière permanente dans ces blocs. On peut les comparer à un grand livre comptable retraçant les transactions financières. Les nouvelles transactions sont continuellement traitées par des mineurs et regroupées dans de nouveaux blocs qui viennent s’ajouter à la fin de la chaîne. Une fois qu’un bloc a été accepté par le réseau, il ne peut jamais être modifié ni supprimé, assurant ainsi l’intégrité et la permanence des données enregistrées.
2. Une première vue de la structure d’un bloc
Chaque bloc contient, entre autres éléments, un enregistrement de certaines ou de toutes les transactions récentes effectuées...
La blockchain 2.0
La Blockchain 2.0 constitue une évolution significative du protocole de la blockchain, permettant non seulement l’échange de fonds, mais également la mise en place de programmes informatiques sous la forme de contrats intelligents (Smart Contracts). Cette innovation technologique ouvre la voie à des applications beaucoup plus larges que la simple gestion des transactions financières, offrant aux développeurs la possibilité de créer des programmes et des API qui fonctionnent directement sur le protocole de la blockchain.
Ce concept relativement récent permet le développement de programmes capables d’être dotés d’une gestion de fonds sécurisée et transparente. Les contrats intelligents sont des programmes qui codent certaines conditions et définissent des résultats en fonction de ces conditions. Par exemple, lors d’une transaction entre deux parties, un contrat intelligent peut vérifier si le produit ou le service a été envoyé par le fournisseur. Ce n’est qu’après vérification que la somme d’argent est transférée sur le compte du fournisseur.
Grâce au développement de programmes préconfigurés qui fonctionnent sur des conditions prédéterminées entre le fournisseur et le client, les contrats intelligents assurent un service d’« entiercement » sécurisé en temps réel, et ce, à un coût marginal quasi nul. Ce mécanisme garantit que des transactions dans le monde réel puissent être exécutées de manière transparente et sécurisée sans avoir besoin du tiers de confiance traditionnel.
1. Au-delà des transactions financières
Bien que les contrats intelligents soient principalement connus pour leur rôle dans les transactions financières, ils trouvent aujourd’hui des applications dans une multitude d’industries. Par exemple, dans le secteur juridique, des entreprises telles qu’Empowered Law utilisent la blockchain pour offrir des services de comptes à signatures multiples destinés à la protection des actifs, à la planification successorale, à la résolution de litiges, à la gestion...
Les contrats intelligents
Un contrat intelligent est un accord numérique qui est à la fois signé électroniquement et exécutable de manière automatique entre deux ou plusieurs parties. Contrairement à un contrat traditionnel qui nécessite un tiers de confiance humain ou étatique pour être vérifié, le contrat intelligent repose sur un agent logiciel virtuel agissant comme tiers impartial. Cet agent logiciel est chargé de l’exécution et, dans certains cas, de l’application des termes du contrat. Il intervient donc comme une entité autonome capable de garantir, sous certaines conditions et dans une certaine mesure, que les obligations de chacune des parties soient respectées, sans recourir à des mécanismes traditionnels de validation ou de régulation externe.
Dans le cadre de la blockchain, où cette technologie trouve toute sa pertinence, un contrat intelligent est un programme événementiel. Ce programme est déclenché par des événements spécifiques, dispose d’un état qui évolue en fonction des actions effectuées et fonctionne sur un registre partagé et distribué, répliqué à travers tous les participants du réseau. En d’autres termes, le contrat intelligent ne se contente pas de définir des obligations entre les parties : il est capable de prendre le contrôle d’actifs enregistrés sur ce registre et de les manipuler conformément aux conditions prédéfinies (programmées ou configurées selon la technologie). Cette capacité à exercer une garde d’actifs de manière autonome et sécurisée, sans l’intervention de tiers de confiance traditionnels comme les banques ou les notaires, constitue l’un des aspects les plus révolutionnaires des contrats intelligents.
Le fonctionnement d’un contrat intelligent repose ainsi sur un cadre décentralisé et transparent, où chaque participant au réseau dispose d’une copie des transactions et des états des contrats, garantissant ainsi leur immuabilité et leur sécurité. Toute modification du contrat ou des actifs qu’il gère doit être validée...
La preuve d’enjeu (proof of stake)
La preuve de travail (PoW - Proof of Work) et la preuve d’enjeu (PoS - Proof of Stake) sont deux mécanismes de consensus utilisés dans les blockchains pour valider et sécuriser les transactions. Ils garantissent l’intégrité du réseau décentralisé en évitant les doubles dépenses et en validant les blocs de transactions. Cependant, ils reposent sur des principes fondamentalement différents, chacun ayant ses avantages et ses inconvénients.
1. Revenons sur la preuve de travail
Le Preuve de travail (PoW) est le mécanisme de consensus traditionnel, utilisé notamment par Bitcoin depuis sa création en 2009. Dans un réseau PoW, les participants appelés mineurs s’affrontent pour résoudre le problème du hash (empreinte) en dessous de la valeur cible (la difficulté). Ce processus de calcul intensif nécessite de puissants équipements et consomme une grande quantité d’énergie. Le premier mineur à résoudre le problème valide le bloc de transactions et reçoit une récompense en cryptomonnaie, ainsi que les frais de transaction associés.
La PoW repose donc sur un principe de compétition : plus un mineur investit dans des infrastructures de calcul performantes, plus il a de chances de valider un bloc. Ce modèle garantit un haut niveau de sécurité, car les attaques pour falsifier des blocs de transactions ou prendre le contrôle du réseau seraient extrêmement coûteuses et techniquement difficiles. En effet, un attaquant devrait posséder plus de 50 % de la puissance de calcul totale du réseau pour réussir une attaque, ce qui, dans le cas de Bitcoin, représenterait des dépenses colossales en énergie et en matériel.
La technologie de minage du Bitcoin a beaucoup évolué depuis ses débuts. Au départ, les utilisateurs pouvaient miner avec des CPU standards (processeurs d’ordinateurs personnels), suffisants pour résoudre les blocs du réseau Bitcoin en raison de la faible complexité du minage. Cependant, à mesure que la popularité et la valeur du Bitcoin ont augmenté, le nombre de mineurs a augmenté et le niveau...
Les actifs numériques
Les actifs numériques (crypto-assets) représentent une nouvelle catégorie d’instruments financiers basés sur la technologie de la blockchain et qui se distinguent de la principale crypto-monnaie de la blockchain. Ils sont émis et échangés de manière décentralisée au moyen de contrats intelligents spécifiques, ce qui en fait une alternative révolutionnaire aux actifs traditionnels. Les actifs numériques se subdivisent en plusieurs types avec des fonctions et des caractéristiques variées.
1. Histoire des actifs numériques
À mesure que la technologie blockchain s’est développée, il est apparu qu’elle pouvait être utilisée pour bien plus que des monnaies. Les contrats intelligents ont ouvert la voie à l’émission d’actifs numériques diversifiés appelés tokens. Ces tokens pouvaient représenter n’importe quelle forme d’actifs : des droits d’accès à des services, des actions dans une entreprise, des produits financiers divers, ou même des œuvres d’art. C’est ainsi qu’est née l’idée des actifs numériques.
L’histoire des actifs numériques commence véritablement avec la création du Bitcoin en 2009, considéré comme le premier actif numérique natif basé sur une technologie décentralisée. Par la suite, l’émergence d’Ethereum et des contrats intelligents a permis la création d’actifs numériques plus complexes. Depuis, l’univers des actifs numériques s’est considérablement diversifié avec les stablecoins, les security tokens, et les actifs tokenisés, etc., transformant progressivement des catégories d’actifs traditionnels (actions, immobilier, œuvres d’art) en représentations numériques échangeables sur des blockchains publiques ou privées....
L’évolution de la blockchain
Dans les années qui ont suivi l’apparition du bitcoin, d’autres blockchain et cryptomonnaies sont apparues rapidement, chacune exploitant la blockchain pour des objectifs différents. En 2015, Ethereum et l’apparition des contrats intelligents (smart contracts) ont marqué une avancée majeure. Ce champ d’innovations a souvent été appelé Blockchain 2.0, où la blockchain ne se limite plus au simple transfert de valeur, mais devient un environnement programmable pour la finance décentralisée (DeFi), les jeux, les systèmes d’assurance, et bien d’autres domaines. Depuis, des évolutions comme Polygon, Solana, ou encore Polkadot ont cherché à résoudre des problèmes de scalabilité, coût et vitesse des transactions, tout en diversifiant les cas d’utilisation.
Aujourd’hui, la blockchain a pénétré de manière tangible la vie quotidienne, notamment à travers le secteur financier. De nombreuses institutions bancaires, historiquement conservatrices en matière de technologie, ont commencé à explorer les avantages de la blockchain, que ce soit pour des transactions transfrontalières plus rapides, des systèmes de gestion des identités, ou encore pour l’émission d’actifs...