Domaine de performance des parties prenantes
Définition et enjeux
Imaginons que vous développiez un nouveau système de gestion des stocks. Vous vous apprêtez à développer le logiciel, sans avoir échangé avec les utilisateurs finaux, ou même le directeur logistique… Il est évident, dans cet exemple, que votre projet est voué à l’échec. La solution finale ne correspondra probablement pas au besoin réel des utilisateurs, et l’absence de soutien du responsable du principal département impacté sera un frein dans toutes les décisions (allocation de ressource, budget…).
À l’inverse, un chef de projet qui chercherait à satisfaire tout le monde, au même niveau de priorité, consacrera trop d’effort à la communication, cherchera le consensus… au risque de ne jamais parvenir à délivrer.
Bien que ces exemples soient caricaturaux, bon nombre de projets échouent par manque d’engagement des parties prenantes. C’est même, selon le PMI, une des principales causes d’échec d’un projet.
À l’heure où les projets et les départements de l’entreprise sont interconnectés, avoir une vision globale des impacts et des effets de bord d’un projet est crucial.
Dans ce chapitre, nous verrons comment un chef de projet peut, en agissant en stratège...
Planification de l’engagement
Afin d’être efficaces dans la gestion des parties prenantes, le chef de projet et son équipe doivent avoir une vision claire sur la manière dont ils géreront l’engagement des parties prenantes (certains projets peuvent même documenter cela dans un plan de gestion des parties prenantes).
Afin de choisir les bons outils, il est nécessaire de prendre en compte plusieurs facteurs, tels que :
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la « magnitude de changement », c’est-à-dire les perturbations de l’existant générées par le projet ;
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la culture d’entreprise et le mode de gouvernance (culture top-down ou décentralisée par exemple) ;
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la culture du risque ;
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la résistance au changement ;
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les outils de communication déjà existants ;
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la répartition géographique des équipes ;
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la multiculturalité ;
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les normes, règlements et lois.
Par exemple, une entreprise ayant une culture top-down nécessitera un alignement plus fréquent du projet avec la gouvernance pour obtenir les validations et prendre des décisions.
Un projet de déploiement d’un nouvel intranet sera, par exemple, moins exigeant en matière de planification de l’engagement des parties prenantes qu’un projet ayant un impact direct sur les modes de travail...
Processus d’engagement
Le processus de gestion de l’engagement des parties prenantes comprend six étapes majeures :

1. Identifier
La première étape consiste à identifier les parties prenantes par la multiplication des rencontres, des interviews, des interactions, et par la compréhension des impacts que le projet aura sur l’organisation actuelle : qui sera impacté par le projet ? Quelle équipe jouera un rôle différent après la fin du projet ?...
Dans cette étape, le chef de projet collecte, entre autres : l’identité de la partie prenante, son intérêt vis-à-vis du projet (concerné par un livrable, l’ensemble du projet, le budget, etc.) et les attentes (en matière de communication, échanges, routines, etc.).
Pour ce processus, comme pour la plupart, il est toujours utile de capitaliser sur la connaissance de l’entreprise. Ainsi, la recherche d’un projet similaire dans l’entreprise aide le chef de projet à ne pas partir d’une feuille blanche.
Des experts des différents domaines sont également clés pour anticiper les impacts et détecter d’éventuelles parties prenantes à inclure.
2. Comprendre et analyser
Une fois les parties prenantes connues, il est nécessaire de récolter des éléments plus subjectifs...
Outils d’analyse des parties prenantes
1. Matrices pouvoir/intérêt
L’objectif de cet outil est de hiérarchiser les parties prenantes et de définir des stratégies efficientes. Une fois les parties prenantes et leurs attentes analysées, elles pourront être réparties sur deux axes : leur impact/influence et leur intérêt vis-à-vis d’un projet ou de son livrable.

2. Niveau d’engagement
Les niveaux d’engagement des parties prenantes peuvent être classés comme suit :
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Inconscient |
Ne connaît pas/ne comprend pas le projet ou ses impacts |
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Résistant |
Ne soutient pas le projet, résiste aux changements |
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Neutre |
Connaît le projet, n’est ni favorable ni défavorable |
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Suportive |
Connaît, comprend et supporte le projet |
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Leader |
Est engagé et promoteur du projet ou du livrable |
Rappel : toutes les parties prenantes n’ont pas vocation à être leader. L’effort du chef de projet devra donc être consacré au bon niveau, en fonction de la stratégie définie.
3. Suivi de l’engagement
Une fois la hiérarchisation effectuée, le chef de projet positionne ses parties prenantes sur une matrice, en fonction du niveau actuel et du niveau cible.

4. Registre de traçabilité des exigences
Au fil des échanges et des sessions de travail avec les parties...
Priorisation des exigences
Il est fréquent de collecter des exigences nombreuses et parfois contradictoires. Lorsque le cas se produit, le chef de projet devra être en mesure de proposer une hiérarchisation selon plusieurs critères, tels que : les enjeux business, l’origine de la demande, le coût, la cohérence avec le périmètre du projet…
Nous allons voir quelques méthodes de priorisation.
1. Modèle de Kano
La réponse favorable à une exigence n’est pas toujours un levier de satisfaction pour les parties prenantes, comme l’illustre le modèle de Kano.
Le modèle de Kano permet d’identifier le lien entre le respect d’une exigence et la satisfaction qu’elle procure.
Ainsi, le modèle met en exergue trois types d’exigences :
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Les besoins basiques : ils généreront de l’insatisfaction s’ils ne sont pas respectés, mais ne permettront pas de créer de la satisfaction.
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Les besoins de performance : ils ont un lien direct entre respect de l’exigence et satisfaction.
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Les delighters : ce sont des besoins non attendus ou nice to have. Leur absence ne génère pas d’insatisfaction, mais la prise en compte de l’exigence ajoutera de la satisfaction.

Prenons l’exemple de la livraison d’un colis à domicile à la suite...
Importance du contrôle de la communication
1. Multiplicité des canaux
Comme nous l’avons vu, maintenir une communication cohérente et pertinente est capital pour soutenir un projet.
Lorsqu’un projet implique un grand nombre de parties prenantes, un manque de communication peut conduire à des situations complexes à gérer, comme être sursollicité pour obtenir des informations, ou laisser les informations être déformées, ou mal interprétées.
Afin d’illustrer les enjeux de la communication, il est intéressant de noter la formule suivante. Dans un groupe de N personnes, le nombre de liens de communication est défini par la formule suivante :
Nombre de conversations = (N * N-1)/2
À titre d’exemple, si vous travaillez dans une entité qui compte 50 personnes, il peut y avoir 1225 échanges individuels.
Cet exemple illustre bien à la fois la vitesse à laquelle une information peut circuler dans une entreprise (et donc être déformée, décontextualisée) et la nécessité de centraliser des messages clés.
Avoir une vision globale des parties prenantes et un plan de communication efficace permet de tirer profit de ces échanges, et de ne pas devoir être dans la réaction/correction.
Des recours à des flash reports ou des newsletters...
Modèle de conduite du changement de Kotter
Une des références de la conduite du changement et de l’engagement de parties prenantes est le modèle de Kotter, mis au point par John Paul Kotter, professeur à Harvard et auteur sur le leadership et le changement.
Il permet de mieux comprendre comment embarquer une communauté de parties prenantes dans un projet, et d’assurer une transformation de l’organisation dans les meilleures conditions.
Le modèle s’appuie sur huit étapes.
Établir le sens de l’urgence
La première étape de la conduite du changement est de communiquer autour d’un besoin de changer et d’un sentiment d’urgence.
Par exemple pour notre projet BI : communiquer autour de la situation néfaste pour une entreprise de ne pas disposer d’outils de suivi en temps réel.
Créer une coalition
Autour de cette problématique que constitue l’urgence de changer, la seconde étape formera une coalition qui militera pour l’apport d’une réponse à ce besoin.
C’est par exemple la constitution d’un comité de pilotage anticipé, pour garantir l’appui des fonctions clés de l’entreprise.
Développer une vision
Pour répondre à cette urgence, l’entreprise formulera une vision et une stratégie pour répondre...
Conclusion
A fortiori avec les méthodes agiles, il est recommandé d’inclure les parties prenantes clés, et notamment les futurs utilisateurs, dans les phases clés de construction. Une participation aux tests, la nomination de key users, et les échanges réguliers d’informations aident le projet à créer de la valeur et à garder une communauté de parties prenantes embarquées.
Adaptation : la multiplicité et la complexité de l’écosystème des parties prenantes sont variables d’une entreprise à l’autre, et d’un projet à l’autre. Aussi, si certains projets comptent une liste courte et connue de parties prenantes, d’autres embarqueront des parties prenantes de multiniveaux, réparties dans plusieurs pays, incluant des clients et fournisseurs, des populations et organismes publics…
Comme tout outil du PMBOK, ces techniques sont à adapter au contexte, et au jugé des experts (chefs de projet, équipe projet, sponsor, pairs…). Les critères d’adaptation seront traités plus loin dans le chapitre Adaptation.
Rappel des artefacts du domaine de performance
À travers ce chapitre, nous avons mentionné plusieurs documents.
Parmi les documents clés issus de ce domaine de compétence, nous listerons les suivants :
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Éléments stratégiques |
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Business case |
Document qui justifie le lancement du projet en évaluant les avantages, les coûts, les risques et les impacts potentiels. Il permet de vérifier que le projet est viable et aligné sur les objectifs stratégiques de l’organisation. |
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Énoncé du projet |
Déclaration succincte qui décrit les objectifs, le scope et les principales caractéristiques du projet. Il sert de base pour la compréhension commune entre les parties prenantes. |
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Charte du projet |
Document officiel qui autorise le projet, définit ses objectifs principaux, les parties prenantes et confère au chef de projet l’autorité nécessaire pour mobiliser les ressources |
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Énoncé de la vision du projet |
Définition de l’objectif global du projet de manière inspirante pour motiver les équipes et assurer l’alignement avec les valeurs et la stratégie de l’entreprise |
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Feuille de route |
Document qui trace les grandes étapes du projet, incluant les jalons clés et les livrables prévus. Elle fournit une vue d’ensemble pour guider l’orientation et la planification... |
Exemple d’illustration
Vous venez d’être nommé chef de projet pour la mise en place d’un outil de BI de suivi des ventes par les commerciaux.
En vous basant sur vos connaissances de ce type de projet, et après de nombreux échanges avec les équipes, vous identifiez plusieurs parties prenantes, dont :
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Partie prenante |
Premières attentes/réactions |
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Le directeur des ventes |
Demandeur d’outils de suivi plus réactif : il se montre très intéressé par l’outil. |
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L’équipe de commerciaux |
L’équipe se montre à première vue méfiante, mais a besoin de plus de détails pour comprendre. |
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Le directeur financier |
Il se montre curieux, mais n’est pas, à première vue, très impacté. |
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L’administration des ventes |
Peu intéressés par le projet, ils ont néanmoins des ressources nécessaires à la rédaction du cahier des charges. |
À partir de ces éléments, vous pouvez déduire les données d’intérêt.
L’équipe projet va ensuite évaluer le niveau d’influence d’une partie prenante, afin d’obtenir une matrice Intérêt/Influence :
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Partie prenante |
Intérêt |
Influence |
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Le directeur des ventes |
+ |
+ |
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L’équipe de commerciaux |
+ |
- |
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Le directeur... |