Le biais dans le domaine du droit
Introduction
L’intelligence artificielle influence de nombreux aspects de notre vie professionnelle et privée. On lui confie de plus en plus de problématiques et, pour des raisons d’efficacité, de productivité ou de rapidité d’exécution, nous lui laissons analyser nos informations, les interpréter et prendre des décisions. Comme nous l’avons vu, il devient nécessaire de se poser la question des risques d’une telle dépendance au regard de l’aura d’objectivité et d’infaillibilité que notre culture attribue aujourd’hui à l’IA. En effet, les algorithmes développés sont considérés comme déterministes, impartiaux, neutres et incorruptibles et sont rarement remis en cause.
Pourtant, et nous le verrons plus précisément dans ce chapitre, la réalité est différente. Les algorithmes d’intelligence artificielle apprennent à partir des données qui leur sont fournies et en déduisent des modèles qui leur permettront de fournir des résultats. On comprend donc l’importance de la validité de ce que l’on donne à l’IA si l’on veut garantir le résultat obtenu, que ce soient des données, de l’information, de l’éducation, de la formation, de l’expertise, des conseils...
Qu’appelle-t-on « biais » ?
Le biais, qui vient du latin populaire biaxius, signifie « qui a deux axes », c’est-à-dire qu’il peut avoir deux sens. Dans diverses disciplines, un biais est une erreur systématique ou une simplification abusive.
En effet, des biais peuvent être introduits en prenant des décisions basées sur des informations imparfaites, incomplètes, erronées ou s’appuyant sans le savoir sur certains préjugés. Par exemple : faire plus confiance à quelqu’un s’il est une figure d’autorité, supposer le genre de quelqu’un en fonction de sa profession, s’appuyer uniquement sur des informations que l’on connaît, etc.
Aussi, comme les humains, les intelligences artificielles qui utilisent les données, suivent des processus et des méthodes, et sont basées sur des algorithmes, sont sujettes aux biais.
Bien qu’il existe de nombreux types de biais, le biais cognitif et le biais algorithmique sont les deux qui nous intéressent dans le cadre des intelligences artificielles ; ce sont ceux que nous allons considérer dans la suite de ce chapitre, chacun de ces deux biais possédant leur propre sous-ensemble de biais.
1. Le biais cognitif
C’est une déviation dans le traitement cognitif d’une information qui conduit à de mauvaises interprétations. Ce sont des dispositions ou des inclinations cognitives systématiques dans la pensée et le raisonnement, qui ne sont souvent pas conformes...
Le biais dans le domaine du droit : risques et conséquences
1. Types de biais rencontrés en droit
Les biais suivants, triés par ordre alphabétique, sont fréquemment rencontrés dans le domaine du droit :
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Les biais d’ancrage : influence excessive d’une première impression ou d’une information initiale sur les décisions ultérieures.
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Les biais d’anticipation : les professionnels du droit et les jurés peuvent être affectés par leurs attentes sur la façon dont une décision sera perçue socialement, ce qui peut influencer la façon dont ils se prononcent.
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Les biais d’anxiété : l’anxiété ressentie par un juré ou un juge lors de procès très médiatisés peut affecter leur capacité à évaluer les preuves de manière objective.
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Les biais d’attribution : tendance à attribuer les actions d’un individu à son caractère ou à sa personnalité, plutôt qu’à leurs circonstances, ce qui peut influencer le jugement des responsables judiciaires.
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Les biais cognitifs : les professionnels du droit peuvent être influencés par des préjugés personnels, des stéréotypes ou des idées préconçues qui affectent leur prise de décision.
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Les biais de confirmation : tendance à rechercher et à interpréter les preuves de manière à confirmer des croyances ou hypothèses préexistantes.
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Les biais de confirmation rétrospective : une fois qu’une décision est prise, les professionnels du droit peuvent interpréter les événements passés d’une manière qui justifie leur décision.
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Les biais de conformité : une pression sociale forte peut amener jurés ou professionnels du droit à adopter les opinions dominantes ou majoritaires, même s’ils ont des doutes ou des réserves.
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Les biais de disponibilité : les décisions peuvent être influencées par des informations facilement accessibles ou mémorables, plutôt que par celles qui sont pertinentes, mais moins présentes dans l’esprit....
La prévention
Quel que soit le domaine, la prévention des biais nécessite une approche proactive de la recherche des biais. Réagir face à des problèmes plus ou moins graves engendrés par des biais est essentiel, voire obligatoire, mais prévenir ceux-ci, est plus efficace et beaucoup moins impactant pour l’entreprise.
En intelligence artificielle où l’apprentissage automatique des machines est fréquent, les problèmes engendrés par les biais de codes ou de données peuvent ne pas être vus facilement et générer, comme nous l’avons vu plus avant, des risques et des conséquences importants pour l’organisme qui a mis l’IA en place.
La méthode que j’ai élaborée et qui est décrite en détail dans mon ouvrage Intelligence artificielle - Impact sur les entreprises et le business (2e édition), s’appuie sur trois phases séquentielles majeures dans la prévention des biais. Une phase qui se situe avant la mise en place du système et qui se concentre sur la définition des spécifications, le choix des sources de données, le choix des données, le choix des variables, et la validation des informations. Une phase qui se déroule pendant la conception du système avec le choix des algorithmes, la finalisation du choix des variables, le choix du langage de programmation, la définition de l’environnement, la construction du modèle, les tests et l’analyse des résultats de test, et enfin, la phase qui se passe après la mise en place du système au travers de la mise en place d’un plan de contrôle, de la surveillance du système, l’analyse des résultats des contrôles, la détection des biais éventuels et la ou les correction(s).

Les trois phases de la prévention des biais
Ces trois phases n’ont pas la même fréquence d’exécution : la phase 1 sera exécutée au démarrage du projet et sera exécutée chaque fois qu’un des composants établis à...
En conclusion
Comme nous l’avons vu dans ce chapitre, chez l’humain, les biais sont naturels et même s’ils ne sont pas nécessairement négatifs, ses préjugés et ses raccourcis peuvent le conduire à des raisonnements incomplets qui génèrent des problèmes plus ou moins graves.
Dans le domaine du droit, les biais représentent un défi majeur à toutes les étapes des processus juridiques et pour tous les professionnels du droit. Ces biais peuvent influencer, la réputation des professionnels, les jugements fournis, l’équité, l’accès aux divers services juridiques.
En adoptant une approche proactive pour identifier et remédier aux biais, nous pouvons progresser vers des systèmes juridiques plus justes, plus humains, plus accessibles et plus efficaces. C’est essentiel pour promouvoir un accès à la justice identique pour tous les individus, indépendamment de leur identité ou de leur contexte social.
Comme nous le verrons dans cet ouvrage, cela nécessite un engagement continu, de sensibiliser les professionnels du droit et les utilisateurs des systèmes juridiques, de diversifier les perspectives dans la mise en place des nouvelles technologies, et de créer des stratégies, des usages, des politiques et des pratiques, de qualité.
Sources et références
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Antoine Crochet-Damais, « Biais algorithmique en IA : définition, exemples et techniques de lutte », JDN, 2022.
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Adebayo, Julius A, « FairML: ToolBox for diagnosing bias in predictive modeling, Thesis: S.M. in Technology and Policy », Massachusetts Institute, 2018.
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Betty Jeuli, « Dark Pattern » : Comment le droit se saisit-il de l’exploitation de nos biens cognitifs ? », Le village de la justice, 2021.
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Cassandre Hugue, « Les biais cognitifs des juges », Sciences Humaines magazine N° 344, 2022.
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Hammurabi, « Tout savoir sur les prompts et biais dans vos recherches juridiques », Hammurabi, 2024.
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Jean-Michel RODRIGUEZ, « Intelligence artificielle - Impact sur les entreprises et le business (2e édition) », ENI, 2022. https://www.editions-eni.fr/jean-michel-rodriguez
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Jacques Faget, « L’acte de juger et ses biais », CAIRN.Info, 2018.
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John Manoogian III (JM3), « Codex des biais cognitifs », Onopia. https://onopia.com/codex-des-biais-cognitifs/
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Marine Magadoux, « L’influence des biais cognitifs dans le processus judiciaire », Faculté de Droit et de Science Politique, 2022.
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Mohammad Kaleem Galamali, « Craintes et inquiétudes concernant les biais de l’intelligence...